The legend of the Amazons, women-separatists, female warriors, has been a constant source of reflection and symbolization since the ancient historian Herodotus mentioned them, as if they were real and living somewhere in the area of present-day Ukraine, in The Histories. Here we have three excerpts from a brand new novel, Les Amazones, published this month by Les éditions de L’instant même. Les Amazones is a vivid and very up to date recreation/adaptation of the myth, written by a young French-Canadian author, Josée Marcotte. This is her first book publication in print — two earlier works came out online at éditions publie.net. This morning she tweeted a quotation from Henri Michaux, somewhat cheekily rewritten to refer to her book:
“Les Amazones” est un torrent d’anges mineurs, car tjrs le sacré cherche abominablement à voir le jour. [“The Amazons” is a torrent of lesser angels; the sacred is always trying, abominably so, to see the light of day. dg’s loose translation.]
But you get the point — the myth, like Freud’s repressed, is always trying to elevate itself to conscious thought, often with beautiful, violent and decidedly upsetting consequences.
dg
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Josée Marcotte appartient à la génération qui a fait siennes les possibilités de l’édition électronique. C’est ainsi qu’elle a mis en ligne La Petite Apocalypse illustrée (éditions publie.net, collection “Décentrements”), sorte de dictionnaire iconoclaste, illustré d’éléments iconographiques populaires (bande dessinée, cartes de Monopoly, etc.) et tournant autour de la figure centrale du point d’interrogation. Ainsi y définit-on l’âme : “Principe qui désigne le moi sans maison, souffle entre les planches et draperies ayant le choix des corps.”
Les diverses facettes de son œuvre rendent compte d’une pensée qui se place en creuset d’influences diverses : Volodine (sans qui elle ne se serait pas lancée dans la réécriture mythologique sur le thème des Amazones dont Numéro Cinq présente ici trois extraits ), Claude Gauvreau (pour son langage exploréen), Pierre Yergeau (pour l’éclatement dans la représentation). Josée Marcotte affectionne la marge (Marge est d’ailleurs le titre et le personnage central du récit fondant son mémoire de maître à l’Université Laval), les regards obliques portés sur les archétypes : Les Amazones renvoient à la fois à la mythologie classique (avec des insertions judaïques au substrat gréco-latin) et à un monde voisin du nôtre par les références en creux qu’il suggère. En somme, le monde des guerrières antiques renouvelé par l’histoire récente de la femme.
—Gilles Pellerin
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Tirésia
Le monde est en guerre. Il est scindé en deux. Je ne sais trop depuis combien de siècles perdure l’affrontement entre le clan des hommes et celui des femmes. Je ne me souviens presque plus du commencement de la fin.
C’est pour repousser la fin que je fais l’inventaire de notre mémoire.
Je répète à Morphale que la terre serait à l’origine du conflit. Les femmes ont trouvé le moyen de créer des êtres, déjà femmes, déjà adultes, à partir de boue, d’épices, d’écorces, de végétaux, de fruits, et à l’aide d’incantations. Ces mixtures donnent à chaque fois, sauf erreur fâcheuse, une guerrière prête à manier les armes et à combattre, pour la préservation de notre clan, contre les hommes. Les ennemis doivent capturer l’une des nôtres pour perpétuer leur race, ils ont encore besoin du corps féminin pour procréer, n’ayant pas saisi les subtilités du sol. Les femmes luttent pour régner seules sur cette terre.
Je ne sais plus quoi penser. Je pressens, et je ne suis pas seule dans ce je, que la guerre opposant les deux clans va s’éteindre avec nous, bientôt. Le sol, du jour au lendemain, est devenu stérile, nous ne pouvons plus utiliser la vase afin de créer d’autres femmes. Notre survie, un pur calvaire de vase, notre calvase.
Attendre la fin, c’est un peu la vivre. Mon esprit n’est plus que vapeur, miettes et poudre à canon.
Qu’avons-nous fait pour en arriver là ?
Line
Quelque chose rendait irréelle la réalité que nous traversions ensemble. Quand Line revenait de son poste de garde, peu après minuit, elle passait à côté du fleuve sans le regarder. D’un pas lourd, elle longeait la cabane sur pilotis de Barika, Nanny et Satellie. Son regard vide cheminait sur la route, notre terrain vague sableux, pendant qu’elle dépassait les campements des divers régiments, puis passait le pas de sa porte grinçante. Suspendait de mains lasses ses deux fusils et son arbalète au crochet de l’entrée. Enlevait d’abord ses bas sales qu’elle déposait dans l’un des deux récipients. Se lavait les pieds dans le second. S’asseyait sur sa chaise de bois rond, qui soupirait sous son poids en même temps qu’elle. Ainsi placée, à côté de sa paillasse, les pieds dans l’eau encore tiédasse, elle faisait face au mur brun, celui qu’elle partageait avec Emrala et Yovnie. Emrala était de la garde de nuit. Seule Yovnie dormait à poings fermés, comme à son habitude, sur le dos, les mains croisées sur sa forte poitrine.
Line se retrouvait devant ce mur tous les soirs, dans cette position, depuis une éternité semblait-il. Elle le fixait longuement, chaque soir, ce même point, les yeux rivés au même endroit. Même qu’on aurait pu penser que les planches seraient creusées à cette place précise, mais non… Après un bon moment, les membres engourdis, elle se levait, tâchait de toucher le mur. Il reculait. Elle avançait ses doigts usés vers lui. Il reculait. Elle faisait quelques pas en avant. Il reculait. D’autres pas. Il reculait. Elle tendait ses mains vers l’avant. Il reculait. Elle se figeait. Inatteignable. Et c’était comme cela toutes les nuits.
Résignée, elle retournait s’asseoir sur sa chaise. Line fixait leur mur. Jusqu’au signal connu de ses paupières lourdes comme pierres, lui rappelant qu’il était temps d’aller sombrer dans le sommeil. Poussée à son extrême limite, elle se couchait alors sur son grabat. Puis fermait ses yeux épuisés devant la nuit.
Apo
Il y a de cela fort longtemps, quand les idoles furent sacrifiées, les statues tombèrent avec fracas. Dans un cirque médiatique grandiose, tous les pays s’arrachèrent à gros prix les images télévisuelles et journalistiques de la chute postcapitaliste. Les génocides abominables, les rébellions et les guerres sans nom eurent raison de l’Empire du béton et de ses géants, ses affres intestines l’attaquèrent de l’intérieur, telle la pyrite
Plus tard vinrent les mères fondatrices. Et notre création collective se fit dans le sang et la magie. Rien de nouveau sous le soleil. L’existence est fondamentalement sale.
Parmi ces innombrables images, le clan se souvient d’Apo, tremblotante sur un petit monticule. Au-dessus des nids de marmottes, elle tenait tant bien que mal sur son talus de terre. Une caméra pointée sur elle, comme une carabine chargée prête à déverser son plomb, Apo était seule à l’écran. Elle tombait de bas, la dernière vedette d’une émission de téléréalité appelée sobrement Concentration.
Un jour, en matinée, elle perdit sa jambe droite dans un soupir. Elle trébucha sur la parcelle de terre qui lui était assignée. Crac. Un vent invisible balaya une partie d’elle au loin. Sur une jambe, elle poursuivit son attente. La femme imaginait qu’il devait être merveilleux de sortir de l’espace où elle était contrainte, de pouvoir communiquer avec autrui, faire entendre sa voix. Le lundi suivant, on dit qu’elle regarda l’appareil, émit un gémissement, une sorte de plainte, et que son autre jambe se désintégra sous son poids. Les yeux hagards, elle fixait l’horizon qui la narguait. Lui, omniscient, partout à la fois, alors qu’elle se contentait de son morceau de terre glissant. Entre elle et lui, la caméra, la machine obligée. Des papillons de nuit virevoltaient autour de son tronc. Elle essayait d’en attraper au vol, mais peine perdue. Elle regardait ses bras, membres inutiles qui l’empêchaient de s’éloigner du sol, du talus maudit.
Après plusieurs années, elle sortit de sa torpeur et sa gorge relâcha un mot, son propre nom, Apo… Son bras droit s’égraina comme un sablier, lentement, tout en douceur, sous ses yeux impuissants. Les ténèbres avançaient vers elle à pas de loup, mais l’horizon était toujours aussi loin. On dit qu’elle fixait le paysage, derrière la machine, ce lieu où le sol épouse les limites du ciel. Cette vue suffisait à la maintenir debout. Elle attendait un miracle.
Plus la disparition frappait Apo, plus les cotes d’écoute augmentaient.
On n’avait jamais rien vu de pareil, un phénomène télévisuel sans précédent.
Ce qui restait de cette femme, un casse-tête aux fragments infinis, impossibles à rapiécer, que le vent et les satellites avaient dispersés aux sept coins des Amériques. Des bêtes du monde entier se délectaient des images qu’elles recevaient, bavant de contentement, se félicitant de ne pas être à la place de cet amas de chairs pétrifié.
Apo espérait être la prisonnière d’un corps autre que le sien, dont elle ne ressentait pas la présence, mais qui serait à même de contenir les restes de son propre corps pour en faire quelque chose de plein, de beau, de grand, de lointain. Comme le vent qui souffle en tempête et fouette les visages.
Elle sentit la secousse comme le vrombissement d’un torrent, ou d’un fleuve. Tout allait s’engloutir, enfin. Apo glissa sur elle-même et s’émietta avec fracas.
Le multiple dans l’un.
Le tout dans le rien.
L’écran devint blanc, et sans issue.
Plus tard vinrent les mères fondatrices, et leur engeance vengeresse.
—Extrait de Les Amazones de Josée Marcotte, L’instant même 2012
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Josée Marcotte est née en 1980 à Saint-Raymond, dans le comté de Portneuf. Elle a complété un mémoire de maîtrise en études littéraires sur l’œuvre de Chevillard à l’Université Laval (2010) avant de publier Marge, chez Publie.net. Son deuxième ouvrage, La petite Apocalypse illustrée, est paru chez le même éditeur en janvier 2012. Son troisième livre, Les Amazones, un roman qui revisite le mythe, paraîtra aux éditions de L’instant même en août 2012.
Voici quelques liens concernant surtout ses publications numériques :
http://www.babelio.com/auteur/
http://actualitte.com/blog/
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